A l’occasion de l’hommage rendu à Claude Erignac, préfet de la région Corse, le 6 février 2018 à Ajaccio.
Monsieur le Président de la République,
Mesdames et Messieurs,
Décider de retourner à Ajaccio aujourd’hui, ici, sur les lieux de l’assassinat de mon mari Claude Erignac, et de prendre la parole à l’occasion de cette cérémonie n’ont pas été choses faciles.
Je pensais ne jamais revenir sur ce lieu maudit où il y a 20 ans, jour pour jour, mon mari, Claude Erignac, était assassiné.
Cet assassinat a été conduit par un commando terroriste de nationalistes corses de la plus lâche des manières : la nuit, par derrière, de trois balles dans la tête alors que Claude se rendait à un concert.
20 ans, c’est long, très long.
Pendant ces 20 années, avec mes enfants, nous avons affronté cet assassinat qui est instantanément devenu une affaire d’État.
Mais surtout, depuis 20 ans, il ne nous est permis de vivre qu’avec le souvenir de Claude, de sa mort terrible et son absence.
Il ne nous reste que cela.
C’est la peine sans fin à laquelle les terroristes qui ont assassiné mon mari nous ont condamnés tous les trois, mes enfants et moi.
Alors dans ce contexte pourquoi avons-nous décidé tous les 3 d’être ici ? Pour trois raisons principales.
Tout d’abord, cette place que nous inaugurons est un lieu de paix et de fraternité. C’est un lieu de mémoire, symbolique, ouvert à tous. Il est aujourd’hui à l’opposé de ce qui s’est passé il y a 20 ans. Cette place représente désormais la vie et une forme de tranquillité mais aussi le souvenir. C’est extrêmement important de montrer que la vie l’emporte toujours malgré ses drames à l’endroit même où ces derniers se sont produits. Ce lieu et sa force symbolique auraient, je crois, plu à Claude qui était un homme de dialogue et de paix.
Ensuite, la République rend aujourd’hui hommage à l’un des siens. Mon mari, qui était Préfet de la République, avait voué sa vie au service des autres à travers le service de l’État. Il ne pourrait qu’être sensible à cet hommage. Nous sommes en tout cas, mes enfants et moi, très sensibles à votre présence, Monsieur le Président.
Il faut se souvenir qu’à travers lui, c’est la République que l’on a voulu toucher et abattre. Venir ici montrer que la République existe et se souvient est un acte fort. Réaffirmer les valeurs de la République ici l’est encore plus. C’est surtout une manière de dire que la République n’oublie pas. Que la République n’oubliera jamais ce qui s’est passé il y a 20 ans. Contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire, c’est également attester que la page n’est pas tournée.
Comment pourrait-elle l’être d’ailleurs alors qu’elle est tachée de sang ?
Je pense ici à une citation inscrite sur le Mémorial juif de Nancy que mon mari avait inscrite dans le carnet qu’il portait toujours sur lui : « Oublier un crime est un crime ».
Aujourd’hui nous n’oublions pas. Aujourd’hui, la République se souvient et n’oublie pas. J’espère surtout que la République ne faiblira jamais en Corse. J’espère que nous n’aurons jamais à dire « Donner raison aux criminels est un crime ».
Enfin et surtout, venir ici c’est se souvenir de l’homme, du mari, du père et, pour nombre d’entre vous, de l’ami. Claude était un homme qui aimait profondément la vie et les siens. Il en aimait toutes les facettes. Il avait un grand sens de l’Etat et accomplissait avec conviction et passion sa fonction de Préfet : œuvrer pour l’intérêt général de la France. Ici, en Corse, comme n’importe où en France, il souhaitait vivre comme tout un chacun. Ce lieu, qui porte désormais son nom, permet de marquer le souvenir de l’homme que nous aimions et qui a accompagné ma vie.
Je ne veux pas parler plus longtemps car il y aurait tant à dire sur ces 20 ans, sur Claude et sur son absence. Je me souviens des derniers mots qu’il m’a dit en me déposant ici il y a 20 ans : « A tout de suite ».
Ses paroles résonnent toujours en moi.